Voilà tout juste quelques minutes, alors que je m’apprête à me mettre à la rédaction de cet article, un de mes cousins poste sur Facebook le commentaire suivant : “C’est un point de vue que je ne partage pas, mais je le respecte”.
Il fait alors référence à un commentaire que lui ai laissé, à la suite de la publication d’un article issu d’une page pro Le Pen appelée Le Patriote. Je lui fais remarquer la tendance extrême droite de son auteur et sa réponse est : cela n’est que ton point de vue et je ne le partage pas.
Là ou il se trompe, c’est qu’il aurait dû dire, à la limite, s’il avait voulu marquer le fait que cela n’était que ma compréhension du contenu de cette page mais que lui comprenait autre chose, que j’exprimais une opinion. Quoi qu’il en soit, le fait que cette page est ou non pro RN n’est ni un point de vue, ni une opinion, c’est un fait.
Vous l’aurez compris, ce qui m’intéresse ici est la nuance entre les notions de point de vue, et d’opinion. Vaste programme!

Le point de vue, c’est le point, c’est l’unité. C’est la caméra posée sur un pied qui regarde toujours dans la même direction ce qui se trouve devant elle, dans son champ de vision, déterminé en photographie par un angle plus ou moins grand. C’est un rayon qui vient rebondir sur un fait, laissant entrevoir une infime partie de sa réalité, de sa totalité. Un point de vue, c’est une façon de voir les choses, certes limitée, si le point de vue est unique, mais s’il est pur et objectif, alors témoigne de la réalité, même si cela n’est qu’une part de cette réalité. J’emploie volontairement le mot “témoigne” car le point de vue joue le rôle de témoin. Si l’on est totalement honnête et sincère, deux personnes différentes se plaçant sur le même point devraient décrire ce qu’elles voient exactement de la même façon.
Dans ce cas, la réalité est constituée de l’ensemble des points de vue que l’on peut lui porter. Si je veux pouvoir décrire une statue dans son intégralité, je dois en faire le tour et l’observer sur tous les angles. Rester figer à l’observer pendant des heures depuis le même point de vue ne m’en ferait percevoir qu’une petite partie. On peut étendre cela à tout, à la compréhension d’un fait politique, d’un événement, d’un livre, d’un poème ; tout s’enrichit lorsque l’on apporte d’autres points de vue au point de vue initial. Chaque point de vue, pour peu qu’il soit le plus objectif possible, vient renforcer la définition même de ce qu’on observe, et donc sa compréhension. C’est pour cela qu’en sciences, la première étape de la démonstration est l’observation.
L’opinion, elle, ne se rapporte pas nécessairement à un fait. C’est une idée des choses, une idée sur les choses, parfois préconçue, artificielle, dictée par des préjugés, d’autres fois établie après de nombreuses observations, la confrontation de nombreux points de vue, leurs juxtapositions, leurs articulations. C’est un avis, un sentiment. L’opinion est de l’ordre du ressenti, de ce que l’on ne démontre pas forcément, mais dont on s’accommode volontiers. Contrairement au point de vue qui se doit d’être le plus objectif possible, tel un regard neutre, l’opinion, elle, est subjective, et témoigne de ce que ce point de vue nous inspire, provoque en nous. L’opinion n’est plus un regard, c’est le retour du faisceau à travers le prisme de notre jugement, de notre personne, notre éducation ou de l’ensemble de nos préjugés.
L’opinion ne se démontre pas, elle émerge, c’est la nôtre, et nombreux sont ceux qui sont prêts à la défendre en faisant fi de tout esprit critique ou logique ou s’accommodent du célèbre : toutes les opinions se valent, donc la mienne vaut autant que celle des autres — ce qui est évidemment totalement faux.
Les opinions ne se valent pas, certaines méritent que l’on s’y attardent, d’autres sont tellement farfelues qu’elles ne le méritent pas. En revanche, elles peuvent évoluer, ce qui est salutaire pour certains.
Enfin, le fait, lui, existe en dehors du point de vue et de l’opinion. Il est là, irréfutable, et se présente tel qu’il est, dans toute sa réalité, unique, à celui qui voudrait l’observer. Il ne sera pas nécessairement compris, et c’est là que l’opinion entrera en jeu, mais il existera tout de même et ne changera pas. C’est lui que l’on essaye de trouver, de comprendre, d’appréhender, ou de démontrer.
Lorsque l’on cherche à savoir ce qui serait la meilleure chose à faire pour résoudre tel ou tel problème, idéalement, on cherche le fait, c’est à dire à déterminer ce qui, dans l’absolu, est la meilleure chose à faire pour résoudre tel ou tel problème, en dehors de ce que chacun pense que cela peut ou devrait être. Evidemment, tout le travail et toute la difficulté consistent à trouver ce fait irréfutable, cette réponse que personne ne peut remettre en question car objectivement, elle représente la seule vérité. Quelle est la meilleure façon de soigner une infection ? Le fait est que c’est de prendre de la pénicilline. Cela n’est pas une opinion, différente de celle de celui qui croirait que c’est de suivre un traitement à base d’homéopathie.
Nous sommes à la recherche de cette vérité, c’est-à dire que nous sommes à la recherche du fait. Et la meilleure manière de trouver la vérité, et de pouvoir la décrire, serait de multiplier suffisamment les points de vue pour faire le tour de notre observation de la question, pour que la vérité surgisse, telle une représentation en 3D d’une statue que l’on aurait photographiée sous tous les angles.
Nous pouvons reproduire une représentation parfaite, tridimensionnelle, d’un objet, juste en ayant multiplié suffisamment le nombre de photos bidimensionnelles, prises en se déplaçant tout autour, pour en photographier tous les angles. De la multitude de point de vue surgit le fait observé.
Le point de vue honnête et objectif, et sa multiplicité, semble être le point de départ de notre quête de la vérité. Qu’en est-il de l’opinion ?
L’opinion, comme je l’ai présentée, ne s’appuie pas sur un fait, sur une réalité. C’est une interprétation, souvent émotionnelle et empreinte de préjugés, d’une petite partie de la réalité que nous avons pu, ou pas, observer.
Multiplier les opinions ne risque donc en aucun cas de nous faire nous rapprocher de la vérité, au contraire, cela risque de favoriser grandement la confusion, et de faire disparaître cette vérité dans un amas de croyances et de sentiments personnels. Malheureusement, il est très difficile d’exprimer un point de vue sans glisser vers l’opinion. Notre quête s’avère donc périlleuse et difficile…
Comment pouvons-nous améliorer notre regard sur les choses pour pouvoir fournir un point de vue plutôt qu’une opinion ? Il faut pour cela commencer par améliorer la manière avec laquelle on observe ces choses. Lorsque l’on observe, et que l’on fait preuve de jugement, de ressenti, de sentiment, notre regard est biaisé, c’est à dire que notre observation ne renvoie plus la réalité, mais nous renvoie ce que l’on pense et ressent face à la petite partie de la réalité que l’on vient d’observer sous un angle. Plutôt que de s’émouvoir face à ce que l’on vient d’entendre, ou d’observer, il serait donc préférable de bouger de quelques pas, et d’adopter un autre point de vue, pour réaliser une nouvelle observation, le tout en essayant de rester imperméable aux émotions. Ainsi, en répétant ce processus, on aurait une bien meilleure idée de la réalité de ce que l’on tente d’appréhender. Il ne faut pas tomber dans le piège qui consisterait à chercher à observer, dans l’espoir de trouver les preuves de ce que l’on pense, a priori, de telle ou telle question. Cela reviendrait à chercher dans les faits ceux qui nous permettront de justifier notre opinion, alors que celle-ci devrait se constituer, le plus tard possible, à partir de faits observés de manière tout à fait objective.
Il est donc important d’essayer d’aborder un sujet, une observation, selon différents points de vue honnêtes, presque détachés, c’est-à dire en changeant le postulat, ou sa position d’observateur, mais en restant neutre de tout jugement, impassible.
“Si je considère ce nouveau point de départ, si je me positionne comme tel, alors que vois-je ?”. Est-ce la même chose ? Est-ce différent ? Cela confirme t’il ce que je viens de voir, apporte un nouvel éclairage ? C’est à travers une telle démarche que nous pourrons enrichir une discussion de regards différents, apporter sa pierre comme on dit, et donc participer à une vraie recherche de vérité.
Cela reviendrait à démarrer nos interventions par : si je considère…. Alors j’observe que. Si maintenant je considère… alors….
Le piège, dans lequel nous pouvons tous tomber, lors de nos échanges et prises de position, serait de nous limiter à des interventions du type “partage d’opinions”. Cela serait alors : je crois que… mon ressenti est…. Mon opinion sur ce sujet est…. Je ne suis pas d’accord avec ce que tu crois, je crois plutôt que…Car comme je l’ai dit précédemment, une juxtaposition d’opinions ne permet pas de comprendre ou même de définir la réalité.
Toujours dans le thème de l’observation et du regard, notons qu’il est également important de connaître un minimum de choses par rapport à son sujet. Si l’on est absolument candide en la matière, il y a fort à parier que l’on ne comprendra pas vraiment ce que l’on est en train d’observer. A fortiori, il sera difficile de tirer quelque bénéfice de notre observation ou même d’être capable de la décrire de manière neutre.
Si j’observe un verre d’eau tomber par terre, je peux expliquer très objectivement ce que je suis en train de voir, ou pourquoi cela s’est produit, car j’ai une compréhension totale de ce qui vient de se passer. Si l’on me montre l’échographie des déplacements du sang dans les deux placentas qui alimentent les jumeaux qui grandissent en ce moment dans le ventre de ma compagne, comme cela s’est passé ce matin, j’aurais du mal à expliquer ou décrire ce que je suis en train d’observer, car je n’aurais pas les outils pour. J’ai vu du bleu et du rouge, le reste était noir et blanc et la machine faisait blop…blop… Pour le coup mon point de vue sur les placentas, la machine qui permet de faire les échographies ou son opérateur ne seraient pas très perspicaces car dénué de compréhension.
Le problème qui se pose ici donc, est que si l’on observe un fait d’un point de vue trop novice, il est difficile d’en tirer une vérité. Le point de vue candide peine à reconnaître ou identifier le fait comme vérité.
Si l’on me demandait de donner un point de vue sur quelque chose que je ne maîtrise pas du tout, sans doute refuserais-je par peur de dire une ânerie…
Pourtant, et cela est étrange, ce principe de précaution n’est pas souvent respecté lorsque l’on veut partager son opinion. Il est très facile de dire : je ne suis pas expert en la matière, mais je pense que. Ou bien : je n’y connais pas grand chose, mais je crois vraiment que…
Quelle est alors la valeur d’une telle opinion, lorsqu’il s’agit de chercher la vérité ? Quel degré d’importance devrions nous accorder à l’opinion de quelqu’un qui ne connait pas grand chose au sujet discuté ?
Évidemment, personne ne peut être expert en tout, et il faut bien pouvoir aussi parler des choses que l’on ne maîtrise pas. Mais on comprendra que plus nos connaissances du sujets sont précaires, plus les points de vue ou opinions que l’on fournira seront dénués de vrai intérêt. Encore une fois, le paradoxe est qu’il arrive qu’un regard totalement candide apporte un point de vue que l’expert n’avait pas envisagé. L’intuition peut aussi mener à la vérité. Tout semble donc plus complexe qu’il pourrait paraître.
Un gros problème, aujourd’hui, est que nombre de non experts se permettent d’ériger leurs opinions en possibles faits et relèguent des faits à des opinions. Ce genre de technique est par exemple utilisée par ceux qui défendent encore la théorie de la Terre plate. Les Flat Earthers comme on les appelle, vont nous expliquer que la Terre n’est pas sphérique, car ils vont remettre en doute tous les voyages dans l’Espace, les sondes, les photos, qui ont fourni cette observation, appelant à la théorie du complot et prétendre que eux défendent l’opinion qu’elle est plate. Bien sur, dire que la Terre est une sphère devient une seconde opinion, puisque le complot invalide le point de vue qui témoigne que la Terre est sphérique, le fait que de multiples observations montrent sa nature “non plate” et toutes les opinions ayant aux yeux des plus naïfs la même valeur, la leur n’est pas moins valide.
On retrouve la même démarche avec ceux qui vont nous dire qu’ils pensent que le Monde a été créé par Dieu en 7 jours et que la théorie du Big Bang et l’expansion de l’Univers, théories qui elles s’appuient sur de nombreuses observations, ne sont qu’une opinion qui vaut autant que la Genèse. En général, ces croyants vont d’ailleurs dire que personne ne connaîtra jamais les faits et que du coup, en attendant, une opinion ne prévaut pas sur l’autre. Pourtant, entre une opinion qui s’appuie sur une multitude d’observations de faits et une autre qui ne s’appuie sur rien d’autre qu’une ancienne croyance largement dépassée, naïve et qui n’a vraiment servi qu’à des fins politiques, il y a une énorme différence de qualité.
Pour terminer, j’aimerais finir par ce qui préoccupe beaucoup les médias en ce moment, à savoir la manière dont les faits sont altérés pour générer et contrôler l’opinion. Tout le monde parle des Fake News et de nombreux sites ont émergé pour contrôler la véracité de ce qui est trop souvent appelé information alors qu’il ne s’agit que de propagande. On parle alors de Check News, Fact News, Fact Check. En effet, on a compris depuis longtemps que si le vrai point de vue et les faits ne pouvaient pas vraiment être biaisés, si l’on créait de faux faits, ou érigeait des mensonges en vérités, alors les opinions issues de leurs observations seraient modifiées. C’est de cela qu’est née cette guerre médiatique qui consiste à raconter n’importe quelle bêtise, pour peu que le public se fasse une certaine opinion de la situation et aille mettre le bulletin souhaité dans l’urne. Nous sommes dans la pure manipulation, la désinformation et la seule manière de s’en préserver est de garder un esprit extrêmement critique sur tout ce que l’on observe, et qu’on nous donne à voir. Rien ne doit être pris tel quel.
Je parle de l’utilisation de cette technique à des fins politiques, et au 21eme siècle, mais promettre une vie meilleure après la mort pour peu que l’on accepte de vivre en servitude par exemple est exactement la même chose. On a toujours utilisé la crédulité des plus faibles pour assouvir sa domination. Aujourd’hui, la technique a évolué, mais le principe reste le même.
La prudence doit guider chacune de nos observations. Soyons vigilants et méfions nous des opinions tranchées un peu trop hâtives. Nous devons sans cesse vérifier nos sources, aborder un point de vue neutre, observer, changer de point de vue, observer depuis ce nouvel angle, travailler pour mieux comprendre notre sujet. Aujourd’hui, un gourou ou un manipulateur a la même visibilité qu’un grand spécialiste qui a travaillé 40 ans sur son sujet de manière scientifique et rigoureuse. Aussi, il est important de reconnaître les opinions qui valent quelque chose, et celles qui sont bonnes à mettre à la poubelle car non, elles ne se valent pas.
Ne nous laissons pas manipuler.